jeudi 20 août 2015

Petit dictionnaire raccourci de la vie de Philippe Tardif

Août 2015.

Nous, dans la famille, on adore les enterrements. Ben ouais, le noir, c'est notre couleur préférée. La mienne en tout cas, surtout pour ce qui concerne l'humour. Et puis les enterrements, c'est un moment privilégié pour tous se retrouver. Tout le monde est invité, et souvent, la famille se retrouve au complet; on ne sait jamais, y'a peut être des trucs à récupérer. Le risque, c'est qu'après l'enterrement, la famille soit totalement décomposée. Comme le défunt si vous me permettez cette image noire. Souvent pour des raisons bassement matérielles, ce qui est d'autant plus ridicule que chacun sait que nul n'emportera ses richesses au paradis et qu'il est d'ailleurs difficile de manger plus de deux poulets à chaque repas.
Alors bon. Nous on aime tellement cela les enterrements qu'on a souhaité bisser celui de mon père. On a fait le premier en 1994. C'était pas très gai, forcément. D'autant moins que c'était plutôt inattendu. Cela fait désormais 20 ans, et deux décennies, c'est long, surtout vers la fin.  Personne n'ayant projeté de mourir dans les prochains jours, on décide donc de faire un remake avec Papa.
Et puis comme on est curieux, on décide de changer de méthode. Fini la tradition avec cercueil en chêne verni, poignées en laiton brossé, dentelles blanches, frigo intégré pour conserver les mises en bières au frais et tout et tout. On opte pour la crémation. Je passe sur les détails croquemordesque de l'exhumation, et on récupère une urne qui sera véhiculée par Madou et AnneSo en voiture sur 500 kilomètres. Sur les nouvelles bagnoles, y'a plus de cendrier, c'est nul: on peut pas ranger les cendres. L'urne finit donc dans le coffre pour le trajet. Vroum-vroum vers le Bernou.
On décide de faire la cérémonie le 23 août. Jour de son anniversaire. Ou de celui d'Edouard, j'ai jamais réussi à retenir les dates. 
D'un côté, c'est chiant, on va recommencer la séquence cimetière avec larmes, kleenex et tout et tout.
De l'autre côté, on va se retrouver ensemble dans ce beau cadre charentais, avec quelques amis triés sur le volet et notre belle jeunesse qu'il aurait sans doute apprécié de connaître, et qu'il a contribué en quelque sorte à faire émerger en décidant de faire trois beaux enfants...
- Très beaux!
- Merci M'man...
... Trois beaux enfants mariés à trois très belles pièces rapportées.
Et puis le cimetière de Pillac, c'est quand même plus joli que le cimetière de Lisieux. Plus facile par exemple de jouer l'apéro à la belote avec Edouard  en écoutant les rires et les chants de  Mamie, qui continue de faire son sac sans cesse.
Alors bon, nous voilà réunis à l'ombre du cèdre bi-centenaire dans lequel les zécureuils chahutent tandis que les mésanges pépient. Le rosé est frais mais pas trop. Il ne reste hélas plus du vin qu'il mettait en bouteilles avec Edouard ou ses amis lexoviens tels les Bideau.  Le Pardaillan est tari. Il faut faire avec. Sans veux-je dire. Comme avec toi. Enfin sans aussi.
Les canards s'ébrouent dans l'étang avant que de finir en confits moelleux. Ah merde, on me dit que ce sont des poules! Tant pis, on fera des poules au pot, ça rappellera des souvenirs.
La campagne est belle mais pas trop non plus, juste ce qu'il faut pour ne pas jeter le trouble dans l'esprit des convives  assoupis aux vents chauds du Sud-Ouest.
Alors bon, ce n'est pas le tout d'écrire des conneries, on m'a demandé un dictionnaire, je m'exécute.

A comme Arnaud. Personnellement, je trouve que je suis un très beau début, même si depuis que mon beau-frère favori a perdu 20 kilos, certaines comparaisons deviennent moins flatteuses, notamment là, et surtout là.  "Euh non, j'suis pas d'accord" qu'elle dit ma soeur Anne-Sophie. Le "n", c'est devant le "r", donc c'est moi que je suis prem's. Et la bagarre commence, comme au bon vieux temps de notre jeunesse insensée et insouciante; tu penses, avec nos deux caractères que tout oppose, ça pouvait pas coller. On a aussi A comme Aldo, un de nos chiens improbables qui ressemblait à un chien quand il aboyait, sinon , c'était plus compliqué.

B comme Bernou. Je ne reviendrai pas sur cet endroit bucolique où il fait bon vivre et où l'on peut attendre la mort avec une certaine sérénité. Je passerai donc par B comme Blues Brothers, film que nous vîmes ensemble dans un vieux cinéma lexovien à une époque où de charmantes hôtesses surannées venaient nous proposer quelques friandises pendant l'entracte aux publicités surannées elles aussi.

C comme Coquainvilliers. Petite chaumière avec chaume sur le toit, c'est logique, et iris sur le faîtage, c'est bizarre.  Endroit bien sympathique qui abrita humblement une famille de 5 personnes pendant de belles années d'insouciance. Coquainvilliers, c'est peut être une Contrepétrie, mais je n'en suis pas certain. D'elle est folle de la messe, à l'aspirant habite à Javel, en passant par ce que j'aime dans le clip de Madonna, c'est le son, l'art du contrepet faisait rire mon vieux père. Surtout que dans contrepet, y'a pet. Alors bon.

D comme droite. Papa m'a confié un jour à l'oreille qu'il avait toujours voté à droite. C'est en ce jour que je vous confie ce secret, car rien n'aurait pu laisser imaginer un tel penchant politique. Mais la droite est  la plus courte distance entre un point A et un point B, ce qui est d'une logique implacable  et séduisante pour un ingénieur ingénieux. La gauche quand à elle est le plus court chemin entre la prospérité et la misère, sauf pour ses dirigeants pour lesquels c'est en général l'inverse.

E comme Eric. Troisième et dernier enfant de la fratrie. Le préféré comme tous les petits derniers et ce ne sont pas Jean ni Solenn ni Ysée qui me contrediront. Préféré des parents, certes, mais également du reste de la fratrie, car quand c'est tout petit, c'est trop mignon. Eric est le seul de la famille a avoir récupéré tes chromosomes d'ingénieur et de musicien, même si ta fille à commis quelques accords sur une guitare.  Arrivé seulement quelque mois après la pendaison de crémaillère de Coquainvilliers... rien de coquain derrière tout cela, mais quand même, on ne va pas vous faire un dessin, y'a des mineurs qui pourraient nous lire. Eric eût le privilège de te côtoyer un peu plus que moi qui faisait l'épicier à Nontron le jour où tu rejoignis le Père Eternel, dont on espère qu'il porte bien son nom.  E comme Emmanuelle aussi, chère nièce fauchée à 18 ans par un chauffard camardeux, elle aussi sur la route  et dont la mort provoqua des larmes chez mon vieux père. Et un père qui pleure, pour un gosse c'est toujours un choc.

F comme Françoise: soeur de Papa et maman d'Emmanuelle, qui n'est donc plus et d'Alexandre qui est encore.

G comme Giscard. La campagne de 1974, je m'en rappelle encore. Papa était giscardien, et nous aussi par voie de conséquence. En fait, on n'avait pas le choix.  On avait des affiches "Giscard à la barre" que l'on collait partout tandis que l'on crachait sur celles de Mitterand. Après, les affiches, on les utilisait pour dessiner ou caricaturer Giscard. Du coup je suis resté à droite, sauf depuis que Sarkoko a été élu pour ne rien faire de ce qu'il avait promis. Et puis en fait, je m'aperçois que la plupart des politoccards actuels grenouillaient déjà à cette époque. Alors bon: droite ou gauche? Enterrement ou crémation? Rouge ou rosé? Hétéro ou homo? Blanc ou noir? La vie est question de choix, mais Dieu que c'est dur pour la votation. En 1981 nous étions chez les Dandois lors de cette belle élection du mois de mai: les hirondelles volaient dans le beau ciel printanier tandis que les chars russes étaient aux portes de Paris, conduits par les quatre ministres communistes idolâtres de Pol Pot, Castro et Brejnev réunis.  G comme Génie aussi, et là, il ne s'agit plus de Giscard, mais de l'arme dans laquelle père fût aspirateur, chié, aspirant. A quoi, nul ne le sait.

H comme Harmonie municipale léxovienne. Papa jouait de la clarinette. Aucun souvenir de cela, mais encore sans doute une légende familiale. En fait il semble que ce ne soit pas du pipeau, même s'il lui arrivait de nous souffler dans les bronches.

I comme Impéria. Marque de voitures belges à motorisation Hotckiss. On devine au loin le bruit des bielles de la vielle Imperia 1936 en cours de restauration, achetée 600 francs de l'époque et qu'il nous promettait de restaurer un jour pour nous emmener cahin-caha de Pillac à Bors en passant par la Rérie, sans tomber en panne. Cette voiture étant une trois places, il eût été difficile d'emmener 11 petits enfants. Elle participa à quelques concours d'élégance paysanne lors de comices agricoles charentaises avec un joli petit cochon encagé sur le porte bagages.  I comme ICAM aussi, école d'ingénieur lilloise que d'habiles alpinistes gravirent encordés certains jours de fêtes estudiantines visant à séduire de sages étudiantes infirmières qui passaient là tout à fait par hasard ou pour soigner les blessés en cas de rupture de la corde, corde qui n'était pas à sauter je vous en prie.

J comme Jean. Jean est un très joli prénom que l'on peut faire suivre de très joli patronymes comme Tardif ou Vergez-Pascal, avec une légère préférence toutefois pour le premier qui n'est pas une pièce rapportée. Jean Tardif, pharmacien de son état, papa de mon papa et qui sous une réputation non usurpée de radin de première catégorie et d'homme froid et distant,  cachait une putain d'âme de poète et d'altruiste. J comme Jazz aussi, musique apprécié du paternel et par nous aussi mais pas trop.

K comme Kougplof. Chié! Kouglpof. Chié! Kogpoluf. Merde! Kougloff... Enfin bon, un espèce de gâteau alsacien, mais avec le K, pas facile de trouver des mots: kaki, kapo, képi, kiki, kopeck, kéké. Sauf à aller chercher en Alsace: Breuschwickersheim par exemple. Ou Eckbolsheim. Y'avait aussi poker jeu auquel tu jouais parfois au Bernou. J'ai évité kaka passequebon.

L comme Le Mesnil-Guillaume. Autre bel endroit qui succéda à Coquainvilliers et où nous vécûmes d'amour et d'eau fraîche, eau parfois boueuse lorsque l'Orbiquet sortait de son lit sans prévenir. L comme Lisieux aussi. Lisieux est une charmante cité rasée en 1944 par les amerloques. 1944, année de ta naissance aussi à proximité de cette antique cité qui comptait une pharmacie familiale réputée pour sa Dentine et son huile de foie de morue, beurk et son accueil chaleureux les soirs de garde qui voyaient ton propre père accueillir le chaland avec tact et délicatesse.

M comme Michel, frère de papa qui vient juste de rejoindre le Père Eternel, dont nous souhaitons ardemment  qu'il porte bien son nom.

N comme Nadine. Infirmière qui tomba sous le charme d'un célèbre alpiniste qui passait son temps à faire le pendule de Foucauld sur les murs en brique de l'Icam. Mariée en 1966, année de naissance de moi-même, avant même la fin des neuf mois de gestation recommandés par la bienséance de l'époque.

O comme Odette. Soubrette d'une de tes grands-mères qui nous faisait peur (pas la soubrette, la mère-grand) et qui piquait quand on l'embrassait (pas  Odette, la grand-mère).  Ah si finalement, c'est les deux qui piquaient. Odette bégayait et faisait l'objet de moqueries récurrentes dans la famille, ce qui me faisait mal au coeur. Elles vivaient (Odette et la grand-mère) sous les toits d'une jolie maison que tu avais imaginé racheter mais bon, avec un père comme le tien, c'eût été trop compliqué. On appelait cette arrière-grand-mère "Mémé", c'est moche (le vocable, pas la grand-mère).

P comme Pardaillan. Source tarie comme évoqué en amont de ce dictionnaire. Je passe donc au P comme Peugeot, marque de voitures dans lesquelles nous avons été conduits de nombreuses années: 204, 304, 504, 604. On a eu toute la collec'. On a aussi eu la 104, détruite dans des circonstances troubles par une de tes filles favorites qui apprenait à conduire en sortant la voiture du garage. En fait, c'est le garage qui sortait de la voiture après la manoeuvre, mais bon, le garage n'a rien eu et la voiture, une quatre portes, s'est transformées en deux portes. Ces dernières certes du même côté, mais ce trait d'originalité t'a beaucoup fait rire. C'était moins pratique quand maman venait nous chercher à l'école, mais bon.

Q comme QueskellafénomdeDieudemerdedechiéàla104? Voir ci-dessus.

R comme Rose Harel, servante illettrée qui faisait des vers en brûlant ses sauces (sic) et dont toute la famille parlait religieusement après qu'elle eût dédicacé un livre de ses poèmes à l'un de nos aïeux. Née à Bellou chez les Dary, c'est grâce à la grande présence de Brigitte et de Gérard qu'elle pu sortir du trou. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer une poésie de Rose Harel que mon papa déclamait souvent pour nous punir. Chié, pour nous endormir.
     "Je m'ai trompé de verre
     Y'a pas le nécesserre
     Je vais foirer ma sauce
     J'vais tomber sur un auce"
C'est d'une grande beauté formelle. Héxamètre, rime riche... Merci à Gégé et à Birgit.

S comme Somua. Entreprise de machines outils balayée par un typhon japoniais dans les années 80, preuve s'il en est que la désindustrialisation de la France remonte à Giscard et que l'on ne peut pas tout mettre sur le dos de Hollande. Ah si, finalement. Je me souviens des samedis où tu m'emmenais à l'usine pour faire je ne sais quoi d'utile. Les tours, fraiseuses et autres monstres à l'arrêt certes, mais impressionnantes pour le môme que j'étais. Un déclic qui m'a poussé à faire Polytechnique et Centrale ce qui m'est bien utile pour pédaler dans la choucroute. S comme Sierra Leone, destination que ma soeur tout juste âgée de 18 ans choisît pour partir 6 mois en vadrouille sur un cargo de contrebande. Depuis cette date, je cache toute les planisphères à ma fille Solenn pour qu'elle n'ait jamais ce genre d'idées saugrenues. Depuis le passage d'Anne-Sophie, la Sierra Leone est en guerre civile permanente. Juste une allusion à ce que nous avons vécu en famille certains soirs d'énervement. Pouf pouf.

T comme Tardif. Très joli patronyme ancien qui remonterait selon des historiens bien informés à Guillaume Le Conquérant (c'est le dernier français à avoir réussi à mettre une raclée aux british). Guillaume, tout harnaché de sa belle armure, fier dans ses bottes et droit sur son canasson, et réciproquement, Guillaume haranguant ses fiers soldats et voyant le chevalier Tardif en train de se brosser les dents, contemplant une belle tapisserie à Bayeux,  Guillaume, disais-je avant que de m'égarer dans les méandres de la petite histoire, Guillaume aurait crié: "Tardif, hâte toi!". Nous étions à Hastings en 1066. L'Histoire de France, la Grande pouvait commencer. On sait désormais de qui tient Pierre.

U comme usine. Tu y fis tes classes, puis en dirigea certaines. Une usine, ça sert à usiner et c'est généralement dirigée par un Directeur. C'est comme une cuisine, qui sert à cuisiner, mais là, c'est souvent occupé par des femmes. Le féminin de Directeur est la Femme du Directeur, rendons à Pierre Desproges ce qui lui appartient.

V comme vitesse: en bagnole, la vitesse, c'est la mort. Et mon paternel, il faut le dire, y conduisait pas doucement.

W comme Wah! Wah. Voir Aldo; il est tard et je suis fatigué. Plus d'inspiration.

X comme Xi JiPing, dit Pong. Président chinois d'un grand pays communiste que tu rêvais de visiter, alors que les zamériques pas du tout.

Y comme Yvonne. Prénom de mère un brin désuet; mère dont la discrétion avait comme pendant une recherche dans le perfectionnisme qui laisse pantois.

Z comme Zalkin. Un nom d'entreprise leader sur son marché (le bouchage des bouteilles de Pardaillan) et malheureusement rachetée elle aussi par un groupe amerloque cette fois ci. A se demander si Hollande ne le fait pas exprès. Zalkin n'est pas l'un des héros d'un film de Star Wars, c'est seulement un nom ridicule.

& comme esperluette. Cette 27ème lettre de l'alphabet, ben elle est tombée dans les oubliettes de l'histoire de la linguisitique au XIXème siècle. Pour ce qui te concerne, pas d'inquiétude quant aux oubliettes de notre petite histoire à nous.


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