Dimanche. Soleil. Tout le monde vont bien surtout question déprime. On en a pris jusqu'au 11 mai. Il reste 21 jours: une éternité.
Je passe sur la balance, comme tous les dimanches. C'est encore une catastrophe. Une fois dessus, je crie à Isa:
- Chérie! Tu ne voudrais pas descendre de la balance? A deux,on dépasse largement le quintal...
- J'suis pas sur la balance! Je fais une conférence skype avec le micro-ondes!
- Ah zut. Il faut vraiment que j'aille chez le coiffeur.
Personnellement, et malgré ces désagréments pondéreux, je ne me laisse pas abattre. Ce week-end, c'est programme terrasse pour passer du saturateur sur les lames de bois. Mon côté artiste certainement. Comme Pierre Soulages, je travaille sur une seule couleur: l'incolore. Encore plus fort et subtil que "l'outrenoir" ce concept fumeux pour galeristes du Marais. Je sens que ça va être très réussi. Comme prévu, les artistes ont décidé de ne pas contribuer à cette performance, épuisés par l'opération nems de vendredi soir, de multiples apéros skype, sans oublier la réalisation de chefs d'oeuvre en série façon Picasso ou Warhol.
Le plus dur, c'est de gérer les flux, sachant que la terrasse fait le tour de la yourte et que le séchage de l'aquarelle prend 12 heures minimum. Sachant également que Hector et Camille se regardant en chien de faïence, il faut installer des barrières de confinement lorsqu'on prend l'apéro (3 fois par jour) ou que l'on se sustente (6 fois par jour). Heureusement, j'avais en stock un rouleau de grillage dans la cave. Du coup, quand on mange (souvent), on a l'impression de vivre à Alcatraz. Merci Camille!
On a vécu un vrai cauchemar dominical avec la gestion de ces flux. Surtout moi.
10 heures. Le premier artiste se lève.
- Papa! Papa! Y'a Hector qui l'air collé sur le terrasse! C'est de la superglu ton saturateur?
Effectivement, le teckel ressemble à un chien d'arrêt face à une bécasse. Mais en dehors de la voisine, nulle trace de bécassine alentour. Je libère le teckel qui laisse de très jolis empreintes de pattes de canidé en incrustation sur le mélèze. J'essaie de ne pas m'énerver. Nous sommes dimanche et la matinée vient à peine de commencer. Et il va falloir tenir 3 semaines encore.
11 heures. La seconde nouvelle vague d'artistes attaque le petit-déjeuner. Evidemment, ils déboulent sur la terrasse, c'est tellement agréable de lézarder de bon matin à l'ombre de la glycine avec tout ce bruit silencieux qui nous emplit les esgourdes.
- Arnaud?
- Oui Camille?
- Tu as renversé du miel sur la terrasse? J'ai les pieds qui collent et ça laisse des traces. C'est rigolo non?
- Non, ce n'est pas du miel largué par les bourdons qui envahissent la glycine et ce n'est pas rigolo. Et là, sans vouloir faire de l'humour, je commence à saturer. Et pas seulement grâce à V33 ou Syntilor.
- Tu satures?
- Oui Camille. D'une certaine façon. Le bois s'entretient, je passe du saturateur.
- Ouf! Je croyais que tu saturais à cause de moi.
13h30: c'est l'heure de la becquée. Il faut trouver une place sèche sur la terrasse, traitée hier donc, avec un accès vers l'intérieur de la maison pour accéder aux plats qui mijotent dans la cuisine sans rester collé aux lames de mélèze, dans une zone que l'on peut sécuriser afin d'éviter tout contact entre les canines d'Hector et la jambe de Camille. Vous pouvez respirer. On s'est tapé une sorte d'escape game. Plus de deux heures de recherches pour trouver LA solution. Au début, tout le monde s'est assis. Sauf Isa, qui était évidemment aux fourneaux. Comme on commençait à avoir faim, on tapait tous avec les couverts sur la table, comme quand nous étions jeunes et que nous mangions à la cantine (le truc que la génération actuelle ne peut connaître: elles sont toutes fermées pour cause de coronavirus) en criant:
- On a faim, on a faim!
C'était très sympa. Les voisins nous répondaient en choeur:
- Nous zaussi! Nous zaussi!
On avait l'impression d'être à 20 heures pour applaudir les soignants, mais dans un registre plus vital.
Isa finit par arriver, avec un plat dans chaque main et un autre posé sur la tête. Elle se présente face à la baie coulissante qui doit la mener à la table pour déposer les plats.
Sauf que nous nous somme trompés dans les flux. Si elle passe par là, elle reste collée à la terrasse. Evacuation de la table, analyse des flux, refonte du plan de table et tout et tout.
16h00: on passe à table. On cumule avec le goûter. Nous refaisons le monde (rien ne sera plus comme avant, tu parles Charles!) et les menus de la semaine prochaine. Camille nous promet une nouvelle série de nems, mais végétariens cette fois. Je bondis de ma chaise pour aller vérifier illico le stock de terrines dans les soutes. C'est bon, on peut tenir un siège. Je valide les origamis frits vietminh.
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Crispy bacon de porc chirurgical |
Ce produit est quadruplement révolutionnaire. Contrairement au tissu, il ne laisse rien passer, et surtout pas les postillons. Rappelons que le gras est hydrophobe. Et puis comme c'est bourré de sel nitrité et de phosphates, ça tue tous les microbes. Deuxième avantage, il hydrate la peau et permet de retendre les radicaux libres des zones buccales et nasales, supprimant rides, ridules, comédons et poils sur le menton. A 15 euros le kilo, c'est beaucoup moins coûteux qu'une crème Shisheido. Troisième avantage de ce produit: il est très économie circulaire, le truc très à la mode dans les milieux branchouilles qui ont les moyens de dépenser deux fois plus que les autres pour se nourrir. En effet, une fois porté, et plutôt que de le jeter, tu peux le manger. Pas besoin de le mettre à la poubelle comme un masque à usage unique. Ou de le laver comme un masque réutilisable. Quatrième avantage, mais non avouable: il permet de se débarrasser de ceux que l'on n'aime pas. Il suffit de servir à ces personnes la tranche de lard enroulée tel un linceul autour d'un pruneau lors d'un apéritif. Et hop! En réanimation à Mulhouse!
17 heures. Isa décide de tondre le teckel qui commence à ressembler lui aussi à un beatnik. Le salon de coiffure canin est installé sur une zone sèche de la terrasse, traitée hier donc. Le chien ne moufte pas. Il faut dire qu'il n'a pas de miroir pour se regarder la truffe. Et c'est mieux comme cela. Ah tiens, le vent de Nord-Ouest s'est levé. Ma terrasse va sécher plus vite. Rafale. Le sac de poils d'Hector s'envole. Et atterrit à mes pieds, sur la zone que je viens de peindre. Ce n'est pas sec. Les poils sont collés sur les lames. Je sature encore.
- Ben tu vois, mon amour, ça fait tapis maintenant. C'est pas mal non plus non?
- Non, c'est un paillasson, pas un tapis. Hector est un teckel à poils durs non?
Dépité, je range le bidon de saturateur.
- Pierre!
- Oui père?
- Tu me prêtes des pinceaux et de la peinture? Je vais me mettre à l'aquarelle.
18 heures. Terrasse terminé. On pourra organiser un jeu de piste grâce à toutes les traces de pieds et de pattes incrustées dans mon mélèze. Ah tiens, c'est l'heure de l'apéro.
Et pendant ce temps, les artistes artistent. Contrairement à ma terrasse, il y a de la couleur. Ah tiens, je viens de retrouver une des assiettes Ikea disparues depuis la création du squat. Elle sert de palette à Pierre Issen, admirateur admiratif de Tomi Ungerer et qui aura peut-être l'opportunité de toucher du doigt certaines des oeuvres de cet artiste alsacien. Vivement le déconfinement.
Villa Médicis, sur l'Avenue du Général de Gaulle. Les artistes en plein boulot. |
Chef d'oeuvre. Je veux parler du tableau. Et de celui qui le commet. |
Cours de yoga en confinement. La position n°32 dite du peintre accroupi |
Chef d'oeuvre tulipier abandonné. En arrière plan, mon assiette Ikea que j'espère récupérer pour le dîner. |
Les contaminés du jour:
Le Maroilles, célèbre fromage qui pue et dont les ventes se sont effondrées. Le patron des Hauts de France, Xavier Bertrand lance un appel à sauver ce morceau de patrimoine français. Il rêve je crois de se présenter à la prochaine élection présidentielle sous l'étiquette Maroilles ou LR. J'ai hâte de voir son programme: c'est tentant. Surtout s'il y met un peu de rouge.
Les morts du jour:
Un ancien leader des Gilets Jaunes de la Marne, tué par sa femme, positive au coronavirus et qu'il battait allègrement. Elle avait mis son gilet jaune et refusait de faire la cuisine, la vaisselle, la lessive et le reste. Il ne l'a pas supporté. Ah tiens, je croyais que seuls les policiers étaient violents.
La déclaration du jour:
Jean-Luc Mélenchon n'enverrait pas son enfant à l'école le 11 mai, lui. Vivant dans un 100 mètres carrés dans le Xème arrondissement, on comprend qu'il n'en éprouve pas la besoin. Et malgré cette absence de scolarité, aucun problème pour la suite. Il suffit d'avoir un papa bien placé. Ce n'est pas Maryline-Camille sa fille qui le démentira, pistonnée qu'elle a été pour rejoindre une administration locale tenue par un mélenchoniste fidèle. Quel courage! Quel talent!