samedi 25 avril 2020

24 avril 2019 - Covid 19 - Des soucis dans le maquis des makizushis

24 avril 2019.

Temps pareil qu'hier. La routine. Comme tout le reste. Le matin, on s'emmerde. Le midi, on s'emmerde. Le soir on s'emmerde. Mais tout va bien pour nous: on s'emmerde dans un jardin. C'est un vrai luxe il ne faut surtout pas l'oublier. Solenn et Isa fument leurs Gauloises comme les autres: elles sont désormais protégées.

Aujourd'hui, c'est la saint Fidèle. Tu parles Charles, c'est normal. En période de confinement, aucun moyen de t'échapper pour aller butiner des fleurs ailleurs, tels ces bourdons qui butinent ma glycine de fleur en fleur sans crainte de se prendre un coup de rouleau à pâtisserie en rentrant dans leur ruche à des heures indues. J'ai cherché longtemps le motif "butiner" sur le formulaire de déplacement de Castaner. Rien. Encore un coup de ces technocrates perchés à 12 000 pieds. De quoi avoir un coup de bourdon aussi, mais sans le pistil.

Ah non finalement. Pas de routine aujourd'hui. Je vais au boulot. A Weyersheim. C'est à 40 km de la Villa Médicis. Un expédition par les temps qui marchent lentement. Oui, je sais. Je devrais écrire par les temps qui courent, mais en ce moment, le temps fait du surplace tellement on s'emmerde. Quant à Camille elle passe des nems aux sushis. On quitte le Vietnam pour le Japon. C'est ainsi que l'on voyage: par la bouffe. C'est tout ce que l'on a trouvé.

Fleuriane va bien. Mais elle n'a plus de clients. Elle les a tous contaminés. Je crois que c'est un peu de ma faute. 5 baguettes, 5 paquets de Gauloises, mais brunes. Retour at home pour les conférences téléphoniques du matin. J'observe tous ces bourdons dans la glycine avec envie.
- Aïe! T'es malade ou quoi Isa ??? (je viens de me prendre un rouleau à pâtisserie dans la figure)

Après-midi, boulot encore mais à Weyersheim. Plus de télétravail et sans télé, les journées sont longues. Rien sinon l'après-midi ne se passe. 

Camille et Isa en kimono
19h00. Retour at home. De la musique K-Pop (de la pop asiatique pour les vieux de plus de 15 ans)  filtre des murs de la Villa Médicis. C'est avec un peu d'anxiété que j'entrouvre la porte de la maisonnée. Aucun véhicule des pompiers ou de la sécurité civile à l'horizon. Si ce n'était cette odeur de nuoc nam (poisson pourri en japoniais), la situation semble sous-contrôle.
Camille et Isa sont en kimono fabriqués maison. Quand tu sais faire un masque avec ta machine à coudre, tu sais faire un kimono. Elles s'affairent dans la cuisine pour réaliser les sushis ou les makis. La totalité de ce qui est habituellement rangé dans les tiroirs et placards est sur les plans de travail. Pierre arrive dans le merdier habillé en samouraï. Il sera chargé de découper les cylindres de makizushis (巻き寿司).

Listons derechef les ingrédients nécessaires à la réalisation de 巻き寿司.

  • Du riz spécial qui devient gluant quand il est cuit. On dirait des glaires de poumons de coronavirusés. 
  • Des feuilles d'algues vertes en provenance directe de baie de Saint-Brieuc, merci à nos éleveurs et leur lisier. Le nori en japonais.
  • De l'avocat en circuit court d'Amérique du Sud. On peut se dire écologiste mais ne pas pratiquer. 
  • Des oeufs plein air de France pour confectionner une omelette fine
  • Du vinaigre de riz pour désinfecter le poisson.
  • Du saumon, mais fumé car nous n'avons voulu prendre aucun risque avec du poisson cru manipulé par une poissonnière qui ne s'est peut être pas lavé les mains avant que de découper notre filet. Ou qui a éternué en levant le dit-filet. 
  • Un makisu (巻き簾), un tapis de tiges de bambou reliées ensemble par une ficelle de coton qui pourra servir de masque à l'issue du dîner.


Sushis anti-soucis de Pierre
L'assemblage ne présente aucune difficulté. Il suffit de poser sur une feuille d'algue une couche de riz gluant, une couche des autres ingrédients et de rouler le tout. Ceci fait, tu découpe les boudins en tronçons régulier pour en faire de jolies bouchées. C'est là que Pierre-Le-Samouraï intervient avec dextérité pour faire le job. Dressage sur un plat et hop!

Les cylindres sont très réussis. Sauf ceux de Pierre qui en a roulé quelques-uns. Ah, ces artistes révoltés. Ils ne peuvent jamais rien faire comme tout le monde! Il est vrai que nous n'avons pas de makisu pour rouler les nems. Nous utilisons des masques jetables et non portés.

Nous passons à table à 21 heures. Le couvert est dressé dehors, sous cette glycine splendide qui nous abrite des derniers rayons de soleil. Les bourdons me narguent encore qui m'expliquent qu'ils sont encore dehors, eux, et qu'ils ne sont pas prêts de rentrer dans leur ruche. La dégustation commence. Nous trempons les sushis dans de la sauce beurk de poisson fermenté et salé. C'est sans doute virucide: il faudra que je demande au professeur Raoult.

Les sushis de Pierre se consomment différemment. Il faut un briquet pour les allumer. J'ai. Le sushi de Camille passe de lèvres en lèvres. Et avec les masques, c'est un sacré bordel.  Solenn passe son tour. Le temps semble s'être arrêté. Nous déconfinons progressivement.
- Pieerrrrrrrrrre!
- Oui Père?
- Y'a un tigre rose dans le jardin. Là! 
- T'as raison. Enorme! On dirait un éléphant!
- Vous êtes malades ou quoi, qu'elle dit Solenn. C'est Hector!

La cuisine de la Villa Médicis après
les suhis de Camille et Isa
La soirée se termine dans des volutes de fumées que la morale réprouve. Les bourdons sont rentrés. Nous faisons de même. Les uns pour écrire ou dessiner, les autres pour visionner une série gore sur Netflix.

Nous repassons préalablement dans la cuisine qui ressemble à Hiroshima ou Nagazaki en 1945. Nous décidons d'appeler Cuisine Schmidt dès demain matin pour refaire l'installation. On pourra utiliser le reste de riz gluant pour refaire les joints. Quant à la pile de vaisselle, elle attendra demain. Je crois que je n'ai pas été entendu. Ou lu.

Les contaminés du jour:

Richard Branson, entrepreneur célèbre et  chantre du libéralisme le plus frénétique avec paradis fiscaux à tous les étages et non publication des comptes, et qui vient de demander de l'aide du gouvernement britannique pour sauver sa compagnie Virgin. Bien qu'étant anticommuniste primaire et libéral convaincu, j'espère que lui même et sa compagnie mourront asphyxiés dans d'atroces souffrances. Il ressemble un peu au docteur Raoult avec sa barbe et ses cheveux beatnik. La comparaison s'arrête là.

Les morts du jour:

Le docteur Loupiac (c'est aussi du pinard), médecin urgentiste à Lons-le-Saunier décédé à Marseille où il avait souhaité être soigné par le OSS 117, alias le docteur Raoult. Il était délégué et très engagé à l'AMUF (C'est la CGT des urgentistes). Retenons donc les éléments suivants:
- Il y a un hôpital à Lons-le-Saunier, 17000 habitants.
- Il ne devrait pas tarder à fermer, puisque le docteur Loupiac a décidé de fuir à Marseille dès les premiers symptômes ressentis, signe qu'il avait une grande confiance dans les équipes médicales de son hôpital. A noter que le docteur Loupiac s'était battu corps et âme pour éviter la fermeture de ce mouroir de proximité. L'engagement à ses limites surtout quand il faut tenter de sauver sa propre peau, et à condition d'être un pleutre. C'était son cas.
- On sait désormais situer cette ville sur la carte de France. C'est dans le Jura
- Les syndicalistes cégétistes ne protègent pas  les salariés, on le savait. Et pas même leur personne, c'est une sacré exception.
- Le docteur Raoult n'est pas magicien ou prophète. Il est seulement médecin. Et expert en virus.

La maxime du jour:

"Privatisons les gains et socialisons les pertes". Richard Branson, cette semaine dans le Financial Times. Je crois que je vais mettre un gilet jaune.
- Pierrot!
- Oui Père?
- Tu peux me prêter ton gilet jaune. Celui que tu as acheté 5 centimes chez Emmaüs?

Je vous laisse. Je dois aller décoller le riz gluant qui nappe les plans de travail de la cuisine. Il faut que je retrouve mon burin. Sans doute piqué par mon artiste de fils pour sculpter un chef-d'oeuvre.

Richard Raoult-Branson. Devenu subitement communiste
à cause du Coronavirus. Un symptôme inconnu jusqu'alors.