Nous allons vivre un second dimanche de confinement. Cela risque d'être plus long qu'un dimanche en famille ou qu'un long dimanche de fiançailles, très joli film de Jean-Pierre Jeunet, pas encore mouru du coronavirus.
Aujourd'hui, je m'habille façon Hugo Bo(go)ss: c'est dimanche. Cela fait désormais une semaine que je porte mon survêt' à trois bandes et à six trous à mi-mollet, c'est hype, un tee-shirt du RCS déchiré juste en dessous du logo Pierre Schmidt et des claquettes chaussettes dépareillées. Ma barbe ressemble à celle de Chabal. Mes cheveux sont longs, mais juste autour du crâne. Douche rapide. Celle du rez-de-chaussée est en panne. Il nous reste celle de l'étage. Nous avons organisé un planning de toilette au singulier. J'espère qu'elle va tenir le coup. Sinon, on ne pourra plus se laver. Et là, le confinement risque de devenir rapidement insupportable.
Mais d'abord, la pesée hebdomadaire, façon d'effectuer un suivi des effets du confinement. Je suis très ému. Je ne me pèse habituellement que lors des visites médicales professionnelles, soit tous les deux ou trois ans. Je prends ma respiration pour me mettre en apnée; je rentre le ventre: ça mincit. Je monte sur la bascule. Hop!
- Nom d'un teckel! J'ai maigri! Si si. Le cadran indique 75 kg!
A bout de souffle, mais pas à cause du coronavirus, ouf, je relâche ma respiration. La balance indique désormais 100 kg. Je suis confit. Zut, confus. Mes magrets gauche et droite font saillie.
La fermeture du restaurant panoramique d'altitude de Pierre Schmidt, tenue par une cuisinière hors mair (pair au masculin) au doux prénom cocorico de Marianne, n'a donc aucun effet. Dépité, je décide de reprendre une tartine de Fleuriane, la boulangère. Je termine le pain de la veille. Le pain chaud et frais est réservé aux artistes pour le petit déjeuner de 11 heures, voire midi le dimanche.
C'est rasé de près, parfumé aux huiles essentielles virucides d'eucalyptus, de cèdre et de nivaquine que je me rends à la boulangerie pour aller retrouver Fleuriane.
- Bonjour Docteur! Vous travaillez? C'est dimanche, vous devriez vous reposer! Courage! Bientôt, on sera tous hospitalisés ou morts et vous pourrez prendre vos RTT, pouf pouf.
- Coin-coin!
- Bonjour Fleuriane! 5 baguettes siou' plaît, des croissants pour Marinette, le JDD et un paquet de Gauloises brunes sans filtres. C'est pour tuer le virus dans mes poumons. Keuf keuf. Il paraît que c'est imparable. C'est Raoul, avec un t à la fin, l'expert télégénique en virus qui l'affirme. Et quand on sait qu'Adolf-Marine et Joseph-Jean-Luc sont des potes de Raoul, ça veut tout dire.
- Coin-coin!
- Bonjour mon Père (c'est dimanche, notre brave curé cherche ses ouaille, tel le berger cherchant ses canards)! Tout va bien? A votre place, je célébrerais la messe au cimetière. Pour faire d'une Saint-Pierre deux coups.
- Coin-coin!
- Bonjour monsieur le Maire! Trop con ces élections pour vous. Vous vouliez tout arrêter, et boum ! Grâce au virus, z'êtes toujours maire. C'est idiot, mais nous l'avons échappé belle: c'est une femme qui vient d'être élue, mais pas trop. Tenez bon!
- Coin-coin!
Ah oui, j'ai failli oublier l'essentiel. Tout le monde vont bien. Ouf!
Temps sec et ensoleillé. 20°. On va se taper une séquence grillades au feu de bois de derrière les fagots c'est logique et au second degré, et arrosées de rosé, c'est encore plus logique.
Barbecue? En place. Il n'a pas bougé depuis ce printemps 2019 quand nous batifolions heureux et insouciants dans les champs de coquelicots alentour que n'avaient pas encore arasés les bulldozers du GCO, sans crainte d'être à plus d'un kilomètre de la maison, croquant une saucisse de chez CDA, célèbre filiale de Pierre Schmidt, arrosée d'un petit Côte de Brouilly fruité et très légèrement rafraîchi.
Charbon de bois? Ah merde! Le charbon de bois! Je coure au Carouf du coin. Vroum-vroum. Ah tiens, les copains de Seb mon fils général de Gendarmerie sont là. Ils me font koukou (coucou en français).
- Bonjour Monsieur. Vous avez vos papiers et votre passeport? Vous allez où en ce dimanche de confinement?
- Bonjour mes amis, hi-hi, je vais au supermarché pour aller chercher du charbon de bois pour faire un barbecue. Mon fils fait partie de la maison poulaga. Il est Général de première classe à Bordeaux. Il vous passe le bonjour. Repos!
- Un barbecue? C'est de première nécessité ça?
- Ben ouais. J'ai trois artistes à la maison, dont un révolutionnaire gaucher. J'ai promis de faire des ribs au barbecue. Si je n'en fait pas, ils menacent de mettre leur gilet jaune et c'est la révolution. Et mon teckel attend les os. Il est terrible, Camille peut en témoigner.
Le paquet de charbon de bois m'a coûté 150 boules: c'est un peu cher pour griller de la viande.
Grillades? J'ai prévu des ribs donc. De porc. Je n'ai pas trouvé de pangolin au Super U du coin. J'aurais du aller au supermarché chinois d'en face. Suis-je bête. La vengeance est un plat qui se mange froid. Il ne perd rien pour attendre le pangolin.
Rosé? Il en reste quelques bouteilles dans la cave. Il ne faudrait pas que le confinement aille au delà du 1er mai sous peine de devoir passer à l'eau minérale.
Nous déjeunons sur la terrasse. Il fait bon. Le cerisier est fleuri comme jamais. Le rouge-gorge sautille sur mon green anglais. Le bruit du silence nous pousse à la rêverie. Nous refaisons le monde:
- Je peux reprendre des frites?
- Bien sûr fils.
- Tu as vu, elles sont transformées en France, avec des pommes de terre de France aussi. Tu vois, la mondialisation, c'est terminé! On va vivre comme au bon vieux temps. Plus d'internet. Plus de Greta.
- Par contre, père, les tomates du ketchup viennent d'Italie, tu as vu?
- Quoi? D'Italie? Mais c'est l'épicentre de la pandémie ça!
Ni une ni deux, je jette le pot de ketchup au loin et l'asperge de glyphosate pour le désinfecter. Rasade de gel hydro pour sécuriser la famille. Nous l'avons échappé belle. Et tant pis pour mon gazon anglais. Je le referai: ce n'est pas le temps qui nous manque.
Nous finissons le repas par le planning gastronomique du confinement de la semaine prochaine. Lundi, c'est knacks Pierre Schmidt et purée Mousline. Je suis désigné pour tenir les fourneaux.
Nous finissons le repas par le planning gastronomique du confinement de la semaine prochaine. Lundi, c'est knacks Pierre Schmidt et purée Mousline. Je suis désigné pour tenir les fourneaux.
Fin des agapes. Nous allons vaquer à nos inoccupations. Suzanne et Paul sont dans leur jardin plantant les légumes qui nourriront le lotissement dans quelques semaines. Apparemment, on ne mourra pas de faim. Jardinage pour tous à la Villa Médicis, sauf pour les artistes qui continuent de créer. Nous plantons des fleurs. Nous pourrons ainsi faire des échanges avec nos gentils voisins.
- Tiens Arnaud, le panier garni de la semaine: tomates, courgettes, aubergines...
- Merci Suzanne! Tiens, le bouquet garni de la semaine: pissenlits, pâquerettes et un truc que je ne connais pas.
- Aïé! Ca pique! Ce sont des orties Arnaud. Mais merci quand même.
Je profite de cette belle journée de merde pour nettoyer et entretenir ma terrasse en bois. Le mélèze pourra servir de bois de chauffage cet hiver si nécessaire, à la façon de Bernard Palissy. On ne sait jamais.
Petite séquence de repos. Il fait bon vivre à l'ombre du tonneau et juste à côté de la tonnelle. Et réciproquement.
Mais qu'est ce qu'on s'emmerde!
Les contaminés du jour:
Rama X, roi de Thaïlande, asymptomatique, est confiné dans un palace chez les teutons avec son harem de 20 épouses. Chapeau les allemands et chapeau le dictateur. Moi, déjà, avec une seule, je n'en peux plus au bout de deux semaines. Et c'est sans compter sur Solenn et Camille. Le pleutre a fui son pays à couilles rabattues: qu'on lui coupe la tête! Et le reste aussi.
Les morts du jour:
Juan Gimenez, célèbre dessinateur de bandes dessinées. Tout ce que je sais de lui, c'est qu'il n'est pas l'auteur d'Astérix.
Le texte du jour:
En provenance directe de New-York, garanti sans virus et commis par René Char. Une anecdote à propos de ce pouët: mordu en 1917 par son chien enragé, un teckel à ce que l'on dit, il est l'un des premiers à recevoir à l'hôpital de Marseille le vaccin mis au point par Pasteur.
De quoi souffres-tu ?
Comme si s’éveillait dans la maison sans bruit l’ascendant d’un visage qu’un aigre miroir semblait avoir figé. Comme si la haute lampe et son éclat abaissé sur une assiette aveugle, tu soulevais vers ta gorge serrée la table ancienne avec ses fruits.
Comme si tu revivais tes fugues dans la vapeur du matin à la rencontre de la révolte tant chérie, elle qui su, mieux que toute tendresse, te secourir et t’élever.
Comme si tu condamnais, tandis que ton amour dort, le portail souverain et le chemin qui y conduit.
De quoi souffres-tu ?
De l’irréel intact dans le réel dévasté ?
De leurs détours aventurés, cerclés d’appel et de sang ?
De ce qui fut choisi et ne fut pas touché ?
De la rive du bon au rivage gagné ?
Du présent irréfléchi qui disparaît ?
D’une étoile qui s’est la folle, rapprochée et qui va mourir avant moi ?
Apparemment, René Char avait choppé aussi le coronavirus. Keuf keuf. Personnellement, je souffre de confinement, pour répondre à la question de René. Je crois que l'irréel intact dans le ciel dévasté, c'est ça. Mais je n'en suis pas certain.
Je vous laisse, j'ai le respirateur à passer. J'espère simplement que les artistes de la Villa Médicis de Breusch' ne vont pas se mettre à la polésie. Il ne manquerait plus que cela!
Le texte du jour:
En provenance directe de New-York, garanti sans virus et commis par René Char. Une anecdote à propos de ce pouët: mordu en 1917 par son chien enragé, un teckel à ce que l'on dit, il est l'un des premiers à recevoir à l'hôpital de Marseille le vaccin mis au point par Pasteur.
De quoi souffres-tu ?
Comme si s’éveillait dans la maison sans bruit l’ascendant d’un visage qu’un aigre miroir semblait avoir figé. Comme si la haute lampe et son éclat abaissé sur une assiette aveugle, tu soulevais vers ta gorge serrée la table ancienne avec ses fruits.
Comme si tu revivais tes fugues dans la vapeur du matin à la rencontre de la révolte tant chérie, elle qui su, mieux que toute tendresse, te secourir et t’élever.
Comme si tu condamnais, tandis que ton amour dort, le portail souverain et le chemin qui y conduit.
De quoi souffres-tu ?
De l’irréel intact dans le réel dévasté ?
De leurs détours aventurés, cerclés d’appel et de sang ?
De ce qui fut choisi et ne fut pas touché ?
De la rive du bon au rivage gagné ?
Du présent irréfléchi qui disparaît ?
D’une étoile qui s’est la folle, rapprochée et qui va mourir avant moi ?
Apparemment, René Char avait choppé aussi le coronavirus. Keuf keuf. Personnellement, je souffre de confinement, pour répondre à la question de René. Je crois que l'irréel intact dans le ciel dévasté, c'est ça. Mais je n'en suis pas certain.
Je vous laisse, j'ai le respirateur à passer. J'espère simplement que les artistes de la Villa Médicis de Breusch' ne vont pas se mettre à la polésie. Il ne manquerait plus que cela!
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Irréel intact dans un ciel dévasté. Pierre Issen, |
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On n'a plus rien. Pierre Issen |
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